Théorie de l'Architecture Naturelle
Pour qu'une architecture offre à la vie la dimension du bonheur, celui qui conçoit doit porter toute son attention à la relation entre l'homme et le lieu : Cette relation est subtile. Le ressenti du plaisir dans l'espace varie suivant les cultures et les époques. Il ne se borne pas aux seules données rationnelles.
Aujourd'hui, en Europe occidentale, la relation à la nature du monde et à l'humaine nature est devenu un besoin vital. Elle est inaccessible en architecture si l'on satisfait, dans leurs intransigeances, tous les dogmes modernes bien en cours, telle la mise a l'écart des matériaux traditionnels, la rigueur géométrique ou l'imagerie technologique.
L'architecture Naturelle est une architecture proposant des méthodes appropriées, parfois irrationnelles, pour susciter avec la plus grande force la relation à la nature du monde, aussitôt ressenti en beauté.
Méthode pour une relation au monde
En architecture naturelle, le concepteur, quand il conçoit, doit avoir, mentalement, par anticipation, en chaque lieu, toute sa sensibilité à hauteur d'homme dans le lieu qu'il imagine. C'est sa seule chance de parvenir à évaluer la relation homme-espace ! Dans chaque édifice, il y a des enchaînements constamment pratiqués, de l'entrée au séjour, des chambres à la cuisine. Ces trajets marquent la vie quotidienne. C'est sur ce cheminement qu'il doit se tenir !
Ainsi apparaît le concept de « parcours ». Tout habitant est contraint de l'emprunter depuis l'approche extérieure jusqu'au coeur des lieux : maison, collège, mairie, bureaux, hôtels. Aucun n'échappe à ces enchaînements nécessaires.
En résumé on peut définir la méthode par l'utilisation de sept concepts :
- Le parcours : c'est le concept porteur des six autres.
- La kinesthésie
- Le cadrage des vues
- Les contre-espaces
- La profondeur conceptualisée
- Le traitement des limites
- Les transparences et vues voilées
Le concept du parcours d'Architecture
C'est par la recherche de la qualité de la déambulation que le plan va prendre sa dimension vitale. Tout plan par la position des portes et des passages, crée des successions d'espaces. Au lieu d'être laissé aux seules exigences fonctionnelles, ce déroulement de situations successives va être soumis à des exigences nouvelles : celles des émotions ressenties.
Ces recherches, comme le découpage cinématographique, conçoivent des séquences. Chacune est porteuse d'un impact, ressentie dans l'immédiateté de l'instant. Elles doivent aussi participer d'un ensemble. Les relations de séquence à séquence conduisent à d'autres sensations. Elles sont à prévoir dans une suite en cohérence ou en contraste.
Le principe de maîtrise des parcours a comme but de mettre en relation, aux degrés le plus haut, l'homme et le monde. C'est par l'éveil sensoriel, d'une part et d'autre part par la qualité des représentations de ce monde que ce niveau peut-être atteint. Nous appellerons « rugosités, et prises » ces atteintes, ces misent en éveil de nos sens qui nous permettent de se saisir consciemment du monde. Par elles, notre présence, ici et maintenant, va se révéler avec une force insoupçonnée.
La kinesthésie Architecturale
Il s'agit d'associer un mouvement provoqué du corps, à une perception extérieure. Ce recours aux inscriptions corporelles n'a pas été inconnu de l'architecture classique. On monte vers les lieux saints ou les monuments d'autorité.
Le Japon en fait un usage permanent : porte trop basse, qui oblige à baisser la tête, barre de seuil exagérément haute, qui contraint à lever la jambe. Un obstacle délibéré est le prétexte au détour. La butée sur une double direction oblige à un choix nécessaire : droite ou gauche ?
La transposition dans un monde contemporain, demande du discernement. Il faut juger à partir de quel moment un excès de stimulation devient une gêne. Un levé de pied sera coordonné à une nécessité de monter. Par contre, les pentes légères qui entraînent vers un lieu ; les butées sur un jardin qui obligent à une rotation seront fréquemment mises en scène.
Quel est le sens rationnel de ces dispositifs ? réveiller l'être ! Réveiller la présence ici et maintenant ! Faire échapper aux automatismes, éviter le nivellement de tous les instants. Un geste inhabituel, associé à la découverte d'un lieu créé une inscription physiquement mémorisée.
Le cadrage des vues Naturelles
L'art classique nous a habitués à régler fenêtres et baies par rapport aux rythmes et aux dimensions des façades. Le mouvement moderne ne s'est pas explicitement détaché de ce rapport. Il n'a pas recherché un rôle possible des ouvertures dans une liaison harmonieuse du dedans et du dehors.
Au contraire, le Japon, par son lien indéfectible à la nature, n'a pas développé le concept de fenêtres liées aux façades. La maison, le temple, le monastère sont des abris d'où l'on participe à son environnement. La nécessité de se protéger des intempéries engendre des shojis, portes coulissantes aux fragiles papiers tendus. Les panneaux de bois protecteurs sont accrochés en cas de grande nécessité.
Mais les larges baies allant d'un mur à l'autre sont, en temps ordinaire, totalement ouvertes. Les parois latérales et la vaste avancée du toit vont cadrer le paysage des jardins et les vues lointaines à la manière d'un tableau. Certaines baies basses, ouvertes au ras du sol, de seulement quelques dizaines de centimètres de hauteur, montrent dans un cadrage parfait la fleur ou le rocher installé à l'extérieur, très proche de la paroi.
La traduction européenne est directe. éviter les fenêtres, seuls éléments de composition de façade, et ouvrir des trouées, réglées sur le paysage environnant. Créé des baies pour la qualité de la relation intérieur-extérieur. Dans les chambres, c'est la meilleure relation entre l'ouverture dans le mur la position du lit et la vue qui sera recherché.
Pour l'aspect extérieur de la construction, ce seront d'autres formes d'harmonie, qui seront recherchées : par exemple une silhouette associée aux formes du voisinage a d'autres vertus que le seul rythme des façades.
Cadrage des vues dans un site encombré
De l'intérieur, le cadrage des vues permet de faire disparaître un élément étranger au paysage : pylônes, maison voisine etc. Il nécessite par exemple d'adjoindre, dans les parties du jardin que l'on maîtrise, un groupe d'arbres recadrant l'horizon.
Cette recherche de la maîtrise des vues peut recourir à la création de murs-écrans s'ouvrant, détaché des façades . Ils masquent une vue déplaisante, ou indiscrète, pour la remplacer par un paysage limité, et recomposé.
Chambre aux baies enchassées dans les murs, ouvertes jusqu'à la mer
Les contre-espaces extérieurs
Ces relations, nouvelles entre intérieur et extérieur, conduisent à forger un concept nouveau : « le contre-espace ».
Dans notre recherche, la continuité intérieur-extérieur est indissociable, le caractère des surfaces adjacentes extérieures a une pièce doit être conçu dans un rapport de totale dépendance. Ce qui nécessite pour les pièces d'intimités des contre-espaces protégés. Les salles de bains, par exemple, appellent cette protection.
C'est par les jardins rendus inaccessibles de l'extérieur que se résout ce problème. Il en est de même pour les toilettes. Pour les chambres, lorsque des vues lointaines sont offertes, on organise un contreespace difficile d'accès par l'extérieur mais ouvert à l'horizon.
La profondeur de l'espace
La notion de profondeur est une valeur particulièrement nécessaire dans des édifices largement ouverts. Cette pénétration de lumière, ces jardins installés au coeur de l'intimité créent un besoin inverse, celui de protection.
Au Japon, les techniques propres à créer des distances dans des espaces réduits sont uniques au monde. Elles organisent des ruptures directionnelles et des seuils successifs. Ruptures, changements de direction, traversée sensuellement fortes avec perte d'orientation créent une impression de distance sans rapport avec l'éloignement matériel d'un point à l'autre.
La traduction dans notre architecture se fera par les mêmes moyens.
Le traitement des limites dedans dehors
À l'inverse de notre culture, qui s'est attaché à souligner les fins et les débuts, la culture du Tao n'oppose pas les extrêmes mais les associe. Il en est ainsi des fins et des commencements. Le Japon va rechercher des transitions, des continuités, des associations. Cette technique de l'effacement est particulièrement élaborée dans le rapport entre intérieur et extérieure dans l'espace des temples. Ces lieux où l'ont célèbre les dieux doivent permettre d'associer les fidèles à des ensembles confondant nature extérieure et intérieur abrité : cet espace entre tous, doit rendre évidente l'indissociable communauté homme et nature. Les grandes avancées du toit s'emparent d'un large espace extérieur, et dans un élan inverse le jardin entre : jardin protégé des profanations dans une enceinte où l'on ne pénètre pas.
Ce traitement des limites est un outil signifiant de cette architecture. Ils règlent nos rapports au monde extérieur. Limites effacées dans certains cas, filtrantes dans d'autres.
Le séjour est la pièce des contradictions ; une partie doit offrir des profondeurs d'ombres protégées, une autre, s'ouvrir sans limites à l'association avec le monde extérieur.
Toutes les lignes qui soulignent le seuil visuel entre intérieur et extérieur vont êtres désolidarisés dans leur complémentarité soulignant la limite. Leurs déstructurations vont permettre sa disparition :
- une continuité sans rupture du sol entre dedans et dehors
- un effacement maximal de l'encadrement des vitrages
- un décalage des structures porteuses par rapport aux vitrages
- une bordure du toit largement débordant, souvent percé, pour brouiller les limites d'ombres et de lumières
- un jardin double franchissant intérieur et extérieur au travers des glaces
La salle de bains ouverte aux soins du corps, est un sujet exemplaire. La continuité intérieur-extérieur y présente un attrait particulier. On doit, pour le respect de l'intimité, y ajouter une enceinte, écran protecteur limité juste au-dessus de la hauteur des yeux : Entrevoir sans voir - protéger sans emprisonner. Ce jardin clos est un contreespace doublant les dimensions de la pièce.
Les transparences et vues voilées
Elles sont un ressort puissant pour l'éveil de l'imaginaire. Notre culture ne les a pas ignorées : l'ombre des églises, les voiles transparents recouvrant la nudité des corps... L'architecture contemporaine, plus sujette à l'objectivité qu'à l'imaginaire, les a complètement oubliées.
L'architecture naturelle en fait un abondant usage : le mur à mihauteur entre voir et cacher, la profondeur de l'ombre (voir « l'éloge de l'ombre » de Tanizaki), les trames de bois. Celles-ci sont l'outil par excellence des demi-vues. La ressource des trames est très large. L'usage est différent selon les sections et les formes.
Les trames horizontales permettent des demi-vues dans le déplacement. Les trames verticales créent des vues frontales voilées et des vues impénétrables latéralement. Le verre sablé, proche du papier tendu du Japon, offre une lumière opalescente. Il s'anime avec des ombres portées, source d'imaginaire.